LE TIR A L'ARC
Elles se voient de loin dans notre plat pays mais elles sont tellement nombreuses quon ne les remarque plus, elles font partie du paysage ; les perches de tir à larc vertical . Et pourtant elles sont une curiosité nationale puisque seule la Flandre et quelques communes voisines de lArtois pratiquent ce sport en France. Sport que lon retrouve semble til uniquement en Belgique et aux Pays-Bas. Preuve supplémentaire de notre identité de culture.
Ce sont quelques 82 sociétés qui séparpillent dans nos campagnes, sociétés bien vivantes et bien structurées qui regroupent chacune quelques dizaines de passionnés. Parler de passionnés cest peu dire, car le tir à larc sinvitera dans toutes les fibres de votre vie ; votre famille sy impliquera car cest un sport qui se pratique en famille, votre demeure en portera les traces car il est bien légitime de mettre à lhonneur les trophées et les lots gagnés, vos loisirs y seront consacrés car le tir à larc est dévoreur de temps.
Carte localisant les sociétés de tir à larc en Flandre/Artois.
Ces sociétés de tir à larc encore si dynamiques sont pourtant bien vieilles, elles descendent en ligne directe du moyen-Age, où lon demandait aux populations de former des « guildes » pour défendre leur commune en cas dattaque armée. Des volontaires se regroupaient alors pour apprendre le maniement des armes et se préparer à défendre leur petite patrie.
Larc était alors, et resta très longtemps, une arme redoutable, celle du peuple, celle du simple soldat qui se déplaçait à pied. Le seigneur lui était à cheval, le « chevalier » qui maniait la lance et lépée et dont léquipement très coûteux était hors de portée du simple citoyen.
Ces guildes darchers, bien utiles et bien pratiques étaient donc encouragées, avec la professionnalisation du métier de soldat, de guerrières elles devinrent davantage sportives. De bienvenues, elles devinrent suspectes puis interdites à la révolution car considérées comme rétrogrades et favorables à lancien régime. Elles subsistèrent pourtant vaille que vaille jusquà nos jours et se portent aujourdhui à merveille.
Loriginalité dans notre sport est quil sagit de tir vertical, car il est vrai que le tir à larc se fait plus naturellement à lhorizontale. Il est bien difficile de savoir quand ces sociétés de tir vertical sont apparues ce qui est sur, cest quelles sont fort anciennes et quà lorigine les perches étaient danciens mâts de bateaux. Les sociétés ont évoluées avec le temps tout comme le matériel utilisé mais lesprit de fraternité et de corps est demeuré tout comme lon retrouve dans la rigueur de lorganisation et le sérieux des compétitions lesprit militaire des origines.
Pierre Dumont, vice-président de la « Guillaume Tell »,société de Watten (car chaque société a un nom) nous a expliqué tous les secrets du tir à la perche daujourdhui. Il illustre bien la tradition puisque cest en faisant la connaissance de son épouse ou plutôt de sa belle famille, quil découvrit le tir à larc. En effet dans sa belle-famille tout le monde était plus ou moins archer et il le devient lui aussi tout naturellement et une fois engagé, il est bien difficile de sen échapper car les occasions de tirer sont bien trop nombreuses.
En novembre un calendrier des tirs est établi par la fédération qui regroupe toutes les sociétés de tir de la région (et donc de France). Établir un calendrier en novembre permet aux municipalités dintégrer les tirs dans le programme communal des fêtes et, jusque récemment, novembre était la fin de la saison qui reprenait fin mars (depuis 4 ou 5 ans le calendrier est ininterrompu). La vingtaine délus de la Fédération, dotés dun costume bleu marine avec cravate bleue et rouge, gère les compétitions et est linstance suprême en cas de conflits ou autres problèmes. En mars la fédération tient congrès à Caestre, au Driehouck, « temple » du tir français, seul endroit où existent des perches couvertes. Bien sûr qui dit congrès, dit banquet mais aussi proclamation officielle des résultats de lannée. On y tire également au sort la société qui organisera le championnat de France ainsi que les rencontres fédérales (ces dernières remplacent le championnat dEurope supprimé depuis que les belges et les hollandais sont munis darcs à roulettes (compounds)).Ces rencontres réunissent lensemble des sociétés Françaises. Étant donné limportance de lorganisation, une société peut refuser cette charge pour des raisons dintendance. Hormis cette occasion unique de toutes se retrouver, les sociétés sont réparties en trois secteurs : maritime, terrien et Artois.
Il y a ainsi une organisation complexe de tirs qui fait quil est possible de participer à une compétition quotidiennement en juillet-août et le week-end le reste de lannée cest à dire samedi, dimanche, lundi. Pour pouvoir participer à ces épreuves, il faut faire parti dune société, cest à dire payer une adhésion annuelle dune centaine de francs. Pour certaines sociétés on ne devient membre qui si lon est parrainé par un autre membre et la réception se fait avec une certaine solennité. Cest le cas à Steenvoorde par exemple où lintroduction ne seffectue que sur une réputation de bonnes murs, lintronisation donne lieu à une cérémonie au cours de laquelle le candidat est baptisé au gros sel, il en reçoit quelques grains sur la langue !
Si les soldats de Napoléon avaient lespoir de devenir maréchal, chaque sociétaire de tir à larc, même novice, espère devenir empereur. Aux environs de Pâques, généralement le lundi de Pâques, chaque société organise le tir du roi. Rare sont les sociétaires qui ne tentent pas leur chance ce jour là. Chacun tire alors pour abattre lunique oiseau fixé tout en haut de la perche, lHonneur ou Papegaey (perroquet en Flamand). Si plusieurs membres ont abattu loiseau, de nouveaux tirs les départageront, il est quelques fois nécessaire de prolonger le tir la semaine suivante. Le gagnant sera le roi de la société pour lannée.
Pour être un bon tireur à larc, nous expliquera Pierre Dumont, il faut bien sûr de lexpérience et une réelle force dans les bras. Larc nécessite une force de tension de 16 à 24 kgs suivant le modèle. 16 à 20 kgs généralement pour les dames, en moyenne, 21 kgs pour les hommes. « Quand on na pas trop dentraînement, on a bien mal aux bras le lendemain dun tir » nous dit Pierre. Les arcs sont de plus en plus sophistiqués. Jadis les arcs étaient en bois, puis jusque il y a peu de temps les arcs étaient métalliques (aluminium) avec un câble, genre frein de vélo comme corde, puis en fibre de verre et aujourdhui enfin en carbone avec poignée métallique. Les Belges utilisant même les arcs à poulies (roulettes aux extrémités) qui démultiplient la force, ils ne sont pas admis en France car ils réduisent le côté sportif de la compétition mais ils sont aussi beaucoup plus dangereux.
Si une perche de tir a une petite trentaine de mètres de hauteur, une flèche montera à 45 mètres avec un arc normal et à 70 mètres avec un arc « compound » belge. Avec les nouveaux matériaux, la taille des arcs sest par ailleurs réduite sils font quand même 1,70 m aujourdhui, ils étaient encore bien plus longs autrefois. Les flèches, qui mesurent 80 cms sont encore parfois en bois (de peuplier) mais depuis plus de 10 ans, elles sont, elles aussi, de plus en plus en fibre de verre. Quelques soient leurs matières, les flèches cassent souvent. Bien que leur extrémité soit plate et munie dun embout en plastique, les flèches demeurent dangereuses et peuvent blesser sérieusement cest pourquoi aujourdhui beaucoup de tireurs portent un casque. Bien sûr chacun possède ses propres flèches quil répare soigneusement en cas de casse. Le tir à larc nest pas un sport coûteux et même si certains arcs peuvent aujourdhui valoir 5 à 8000 fr, la valeur de larc nest pas un gage de succès.
« La chance joue pour 50 % dans le tir à larc et cest pour ça que chacun à sa chance » pense Monsieur Dumont, le vent notamment a un rôle important et si une flèche tirée avec beaucoup de force dévira moins, la force nest quun paramètre parmi bien dautres. Cest pour cela que lon peut faire de très belles performances et parfois même meilleures avec un arc tout simple ou ancien et , bien que moins fortes, les dames raflent chaque année, sans complexe une vingtaine de titres de reines.
A la mi juin tous les rois et reines de société se rencontrent pour disputer le titre dempereur. Chaque tireur dispose de trois flèches pour abattre loiseau, autant de tours que nécessaire étant organisés afin de départager les rois. Ce titre dempereur est très envié, il est exceptionnel de le gagner plusieurs fois dans une vie et une seule dame fut impératrice depuis 1806, il sagit dune dame de Steenvoorde qui obtint le titre il y a 5 ans. « Cassel, Godewaersvelde, Steenvoorde cest le coin des mordus ». Hormis le prestige qui en découle, le titre dempereur est intéressant pour les récompenses qui lui sont liées, lots qui ont jusquà une valeur totale de 10 000 f, bien sûr on nest plus à lépoque où lempereur était dispensé dimpôt pendant un an ! La fierté davoir décroché le titre dempereur est dailleurs partagé par la société à laquelle appartient le nouvel empereur, et qui considérera comme un honneur dorganiser le prochain tir de lempereur.
Aussi prestigieux que soit le tir du roi, il ne représente que peu de choses dans la saison bien riche par ailleurs.
Chaque semaine il y a au minimum trois jours de tir ; le samedi, dimanche et lundi. Le matin est réservé au tir aux honneurs, cest à dire que lon tire uniquement les 7 oiseaux situés au somment du mât, chaque honneur donnant un nombre de points précis. Chaque joueur tire dans sa catégorie (adulte, dame, enfant ou vétéran), avant de jouer chacun doit payer une mise de lordre de 20 f, mises qui sont intégralement redistribuées suivant le nombre de points obtenus.
Laprès midi grille et honneurs sont dressés, avec autant doiseaux que darchers. Là aussi chacun paye une mise de lordre de 15 f par perche. Il y a toujours deux ou trois perches dans un champ de tir, et ce sont là aussi les honneurs qui rapportent les meilleurs lots. Le papegaey tout en haut de la perche est toujours la cible la plus convoitée dautant que durant les tirs de laprès midi labattage de celui ci vaut 2 cartes pour la participation au championnat de France. Trois cartes obtenues durant la saison donnent le droit dy participer.
Tout joueur peut obtenir sa participation au championnat, mais il existe en parallèle un championnat féminin, le jeudi de lascension à Coudekerque Branche, championnat qui nest pas soumis à préqualification et qui rassemble 250 à 300 concurrentes. Il y a également un championnat jeunes et depuis peu un championnat vétérans organisé à linitiative dun particulier à Merville.
Le championnat toutes catégories rassemble lui 350 archers qui se départagent sur quatre ou cinq perches. Hormis cela, il existe aussi des tirs de coupe, des tirs de challenge intéressant pour les archers qui peuvent alors tirer une quarantaine de tirs dans la 1/2 journée, pour une quinzaine autrement. Pour faire bonne mesure, il existe aussi des tirs fédéraux, bien sûr ,en dehors des tirs organisés, on peut toujours sentraîner sur les perches de la société ou si le temps est par trop mauvais faire un peu de tir horizontal en salle, histoire de ne pas perdre la main. Pour les tirs horizontaux, les cibles ne sont autre que des grilles de perches disposées horizontalement (très légèrement de biais) au fond dune salle.
Si les tirs donnent lieu à des prix, ils ne sont jamais importants et ne font souvent que rembourser la mise bien minime elle aussi, ce nest donc jamais lappât du gain qui motive les joueurs et les sociétés ne sont pas non plus bien riches. Il y a, il est vrai la buvette qui fonctionne durant les tirs. Buvette qui apporte une petite aide financière en complément des subventions que peuvent verser les communes. Mais cette buvette est bien accessoire pour les joueurs qui viennent, en famille, dabord pour tirer et aussi pour se retrouver entre amis. Cest que les sociétés ont malgré tout des charges telles quassurances et autres à régler mais ce sont elles aussi qui achètent et entretiennent les perches. Linstallation dune nouvelle perche est bien sûr un événement et le prêtre lui même se déplacera pour la bénir. Largent nest vraiment pas laffaire des tireurs à larc, avec quelques centaines de francs, on peut se lancer dans le tir mais on a tout intérêt à réfléchir avant de faire le pas car une fois engagé il sera bien difficile de sen défaire. On a au contraire bien des chances de se retrouver chaque fin de semaine au pied dune perche surtout si le reste de la famille prend le pas, cest alors avec la caravane que lon se déplacera au gré du calendrier.
retour haut de page