Histoire locale

Une source perdue : Saint Folquin à Pitgam

(extrait de la revue n°46)

Cela paraît à priori incohérent d'écrire que l'eau est rare en Flandre alors que notre province à la réputation d'être une région où l'eau est partout, toujours, dans le ciel comme sous les pieds. Pourtant notre argile imperméable ne recueille guère ce précieux liquide et quand l'homme creuse une mare pour le recueillir, elle devient bien vite un trou croupissant. Alors quand par chance on découvre malgré tout une source d'eau limpide, celle ci fait l'objet, au sens propre, d'une véritable vénération. Il ne subsiste plus guère, aujourd'hui, de ces sources, elles ont été détournées par un drainage aveugle, souillées par une pollution insidieuse ou simplement oubliées, car plus trop utiles.
Pendant des millénaires elles furent pourtant les seules à fournir une eau buvable et souvent intarissable et comme tel bienvenue lorsque les étés secs, les mares étaient vides. Toujours on leur prêtait des vertus et bien souvent en premier lieu celle de guérir des fièvres des marais, si communes jadis, en Flandre.
Ces lieux, sans doute déjà sacrés pour nos ancêtres païens, furent christianisés par nos premiers apôtres et demeurèrent placés sous leur vocable. La source Saint Martin à Wulverdinghe est ainsi une des dernières étant demeurée intacte, elle coule toujours dans un lieu sylvestre délicieux, au bout d'un petit sentier, près de tilleuls centenaires et surtout de la statue de Saint Martin. La source Notre Dame à Bollezeele a été, elle réaménagée avec bonheur il y a quelques années. Mais les pèlerins ont depuis longtemps abandonné l'eau bienfaitrice de la chapelle Sainte Mildrède qui polluée est devenue imbuvable.
Le sort d'autres sources vénérées est bien pire puisque totalement disparues et oubliées au point que leur emplacement même est aujourd'hui inconnu. Ainsi qui sait encore où se trouve la source Saint Léger à Socx (sint Leodgarius put), la source Saint Gilles (sint Gillis putje) à Craywick ou la source Saint Léonard (sint Léonardus put) à Spycker ? Pourtant tous ces lieux étaient encore vénérés au début du XXème siècle.
A la limite des communes de Pitgam et de Zegers Cappel, se trouvait également une mare alimentée par une source limpide que l'on nommait déjà en 1598 “saint Folquins Pitken”, la petite mare Saint Folquin. A cette même date l'on signalait au même endroit la sint Folquins cappelle (la chapelle Saint Folquin). Il est fort probable que ce lieu était déjà à cette époque dédié à Saint Folquin depuis fort longtemps, l'église de Pitgam est d'ailleurs elle aussi placée sous le vocable de ce saint.
On sait en effet que Saint Folquin, fut un des premiers évêques de Thérouanne, évêché dont dépendit notre Flandre jusqu'à la destruction de la ville par Charles Quint. Saint Folquin, neveu de Charlemagne fut un des apôtres de la région et selon le cartulerium sithiense, il mourut le 14 décembre 855 à Esquelbecq.
La légende voudrait que le saint visitait infatigablement son vaste diocèse et que, quand il était dans les environs de Pitgam, il faisait immanquablement boire son cheval à la source qui porta son nom.
On ne sait si Saint Folquin passa réellement en ce lieu mais il est fort probable que très tôt, les pèlerins affluèrent pour puiser l'eau de la source. Celle ci était utilisée pour guérir des fièvres ainsi que pour favoriser un heureux accouchement par les femmes enceintes. En 1886, l'abbé Flahault publiait un court opuscule sur la chapelle Saint Folquin. Il écrivait qu'alors il ne se passait “de jours qu'on voit arriver au sanctuaire, par les nombreux sentiers qui y aboutissent, de courageux pèlerins venant réclamer pour eux ou leurs parents et amis l'intercession du saint évêque de Thèrouanne et puiser de l'eau à l'antique source”.
L'eau de la source était abondamment distribuée aux fidèles qui suivaient les neuvaines à Saint Folquin dans les paroisses de Pitgam, Esquelbecq et Volckerinckhove qui lui sont dédiées. 
La dévotion à la source semblait pourtant déjà en diminution à cette époque où l'on rapporte qu'auparavant, les pèlerins venaient de toute la Flandre maritime de Watten à Furnes en passant par Gravelines, Bergues et Dunkerque et même Poperinge ou Ypres.

Seule représentation retrouvée de la chapelle Saint Folquin de Pitgam, un dessin de A. Dezitter.


La source sourdait d'une petite mare régulièrement entretenue, la chapelle voisine a du être reconstruite plusieurs fois, on ne sait à quoi ressemblaient les plus anciennes d'entre elles, ni celle évoquée en 1558. La seule qui nous soit un peu connue, grâce à l'abbé Flahault et au père de Joseph Dezitter, avait été érigée en 1728. Elle était de dimension importante pour une chapelle puisque ses façades étaient percées chacune de 4 fenêtres en plein cintre, la porte d'entrée, également cintrée sur le pignon était surmontée d'un oculus. Quatre contreforts renforçaient les murs du chœur, l'édifice pouvait avoir une petite dizaine de mètres de longueur, il était couvert d'ardoises et surmonté d'un curieux petit clocheton en forme de poire, les murs étaient en briques jaunes. A l'intérieur le pavage était en carrelage de terre cuite, le chœur était séparé du reste de la chapelle par une cloison en torchis percée d'une porte dont la partie haute était à claire-voie comme les portes de nos chapelles contemporaines. Deux autres ouvertures à claire-voie étaient également pratiquées dans ce mur afin que les pèlerins puissent voir l'autel. Au dessus de l'autel un tableau maladroitement peint sur bois représentait Saint Folquin, évêque, bénissant la source et accompagné d'un soldat en cuirasse et en cape écarlate faisant boire le cheval du saint. Sous le tableau une inscription en flamand, évoquait la bénédiction de la source : “Sint Folquin heeft dit water ghebenendyt, waer door, dat er veele menschen geholpen woort van de koorssen 1783” (Saint Folquin a béni cette eau, qui a ainsi guérie beaucoup de personnes de la fièvre).
Vers 1840, la chapelle devait commencer à se dégrader fortement au point qu'un habitant de Zegers Cappel s'en ému. Il s'agissait de Guillaume Vanhaecke (son deuxième prénom étant Folquin). Le chanoine Flahault nous raconte comment ce cultivateur aisé et alors maire de son village se porta acquéreur de la chapelle. En 1842, il vint trouver le propriétaire de la terre sur laquelle se trouvait l'édifice et qui était donc aussi propriétaire de l'oratoire.
Cet homme nommé J.B. Devulder, en bon flamand, s'enquit tout de suite de savoir si monsieur Vanhaecke était prêt à mettre le prix. Is de beurze mey ? (la bourse est-elle avec ?). Met dat de beurze mey is, 't is gelyk aen wat prys, de cappelle is de myne (avec ça que la bourse est avec, le prix est égal, la chapelle est mienne). Monsieur Vanhaecke a sans doute alors raccourci la chapelle, le pignon était-il délabré ? Il a construit contre la chapelle une petite chaumière destinée à héberger un ménage qui s'occuperait du site.
Une inscription gravée sur une poutre intérieure de la chapelle rappelait cette nouvelle propriété : “Deze cappelle behoort toe aen guilliehmus Folquinus Vanhaecke, proprietaris in Zegers Cappel ende aen dame Theresa Schraen, zyne huysvrouwe. 1842. Bid voor St Folquinus” (cette chapelle appartient à Guillaume Folquin Vanhaecke propriétaire à Zegers Cappel et à dame Thérèse Schraen son épouse. 1842. Priez (pour) Saint Folquin).
Lorsqu'il écrivit son opuscule en 1886, l'abbé Flahault, retrouva une chapelle qui commençait à se dégrader, le carrelage était défoncé, le mur en torchis à l'avant du chœur se détériorait. Dans la première partie de la chapelle un petit banc en bois permettait aux fidèles de s'agenouiller, on trouvait là également un “modeste candélabre”. Un tableau reproduisait la chapelle telle qu'elle était à son origine.

Localisation de la chapelle Saint Folquin sur le cadastre de 1825 avec en détail la chapelle (n°313) sur celui de 1888 ; la feuille concernant la chapelle du cadastre de 1825 n'existant plus.

A l'extérieur, contre le chœur, avait été adossé une petite étable et le toilette familial si bien que l'eau de la mare bénie, toute proche n'était plus guère saine et que le curé de Pitgam avait cessé de servir de cette eau pour la célébration de la messe.

Aujourd'hui plus aucune trace ne subsiste du domaine, la mare avec sa source, la chapelle, la maison et ses dépendances ont disparu et le “paisible et riant vallon” avec ses haies et buissons sont devenus un triste et vaste champ. Nous avons retrouvé l'emplacement grâce aux anciens cadastres. Il n' y a plus guère d'espoir de retrouver la source jadis intarissable mais nous souhaiterions pouvoir rappeler ce lieu de dévotion millénaire en y installant un simple petit oratoire.

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