Histoire locale

Le petit train des Flandres

(extrait des revues n°48 et n°49)

Le chemin de fer fut une des grandes aventures du XIXème siècle. Fruit des innovations technologiques et des grands capitaux, les voies ferrées se sont répandues dans toute l'Europe à partir des grandes villes et des centres industriels. Le Nord de la France a, bien sûr, participé à cette grande aventure.

Si la première usine de fabrication de locomotives voit le jour en Grande Bretagne en 1823, c'est à Arras en 1828 qu'apparaîtra la première usine de ce même type en France. La première ligne sur le territoire français s'ouvrira d’ailleurs le 1er octobre de cette même année à Saint Etienne. C'est là aussi que les premiers voyageurs français embarqueront. La première ligne de voyageurs parisiens sera elle inaugurée en 1837. Pour notre région, ce sera la compagnie minière d'Anzin qui prendra en 1835, l'initiative de la construction d'une ligne ferroviaire. La ligne Paris-Lille ne sera inaugurée qu'en 1846.
Les lignes sont alors exploitées et gérées par des compagnies privées, dans notre région par la «Compagnie du Nord». Dunkerque est desservi par le train fin 1848, il en sera bientôt de même pour la plupart des villes de la région. En 1870 la compagnie des chemins de fer du Nord exploite 1500 km de voie : «une soif universelle de chemin de fer anime le département du Nord». Son rôle sera d'ailleurs important durant la guerre de 1870.
En 1870 également les lignes Dunkerque-Calais et Watten-Gravelines sont ouvertes. Après la guerre, le plan Freycinet (du nom du ministre des transports futur président du conseil) prévoit que chaque canton bénéficie du service d'une gare. Le Nord a le réseau ferroviaire le plus dense de France.
Le développement du chemin de fer eut des effets considérables sur le développement économique et l'on pourrait presque dire sur la vie quotidienne des populations. Pensez donc, avant le chemin de fer, les transports et les déplacements se faisaient au mieux à la vitesse du cheval alors qu'en 1850 un décret ministériel devait limiter la vitesse des trains à 100 km/h, 70 km/h était alors une vitesse moyenne en service commercial dans la région.
A côté des voies principales ont créera très rapidement les lignes d'intérêt local ; elles seront bien sur présentes dans nos campagnes flamandes. Les deux types de réseaux n'auront d'ailleurs pas grand chose en commun.
Les grandes lignes seront assimilées à la grande voirie et des mesures spécifiques y seront fixées par une loi du 15 juillet 1845 qui ordonne notamment d'établir des clôtures tout le long des voies, des barrières à tous les croisements avec des routes, qui interdira de faire des meules ou de construire des chaumières à moins de 20 m des voies etc. Très rapidement l'écartement des voies sera standardisé sur le modèle de la première ligne construite en Grande Bretagne, à 1,40m. Ce qui correspondait, paraît-il à l'écartement des roues des chars romains 1,437m.

Les premiers chemins de fer d'intérêt local apparurent en 1858 en Alsace, dans le département du Bas Rhin et le conseil général du département les soumit immédiatement à la législation applicable aux chemins vicinaux. Dès 1861 le ministère des travaux publics convient que les règlements puissent être moins contraignants pour ces lignes «à supprimer l'obligation de clôturer en tant que règle absolue».
Ces lignes auront pour buts «de relier les localités secondaires entre elles ou avec les grandes lignes», elles devront être construites à moindre coût. Une loi de 1865 donne aux conseils généraux le droit de choisir les tracés des lignes qu'ils souhaitent voir se créer dans leur département. Ce sont d'ailleurs les départements qui subventionnent en grande partie la réalisation de ces voies dont le fonctionnement sera concédé à des entreprises privées. En 1872 on n'aura pourtant encore que 1600 km de voies d'intérêt local en France et 3700 en 1880 soit 7,2% du total. La proportion était du double dans les pays voisins (Belgique, Hollande et Italie). Une des originalités des lignes d'intérêt local était l'écartement des voies qui était quasiment toujours inférieur à celui du réseau principal. Ingénieurs et législateurs incitaient d'ailleurs à construire des voies étroites moins coûteuses et qui permettaient de prendre des virages plus serrés ainsi les lignes pouvaient plus facilement contourner les obstacles. L'économie à la construction de la voie était évaluée à 50%. La distance entre voies d'un mètre fut choisie pour la quasi-totalité des lignes d'intérêt local en France, largeur préconisée par ailleurs par les ingénieurs.
Ces voies étroites présentaient cependant des inconvénients importants qui contribuèrent sans doute à les rendre éphémères. Il y avait d'abord la nécessité de transborder les marchandises qui devaient être ensuite transportées sur une grande ligne. Il fallait également adapter les gares des grandes lignes aux voies étroites, enfin la conception même de ces voies limitait la vitesse des trains qui y roulaient fort lentement.
Il semble que l'on commença à réfléchir à l'installation de voies d'intérêt local en Flandre vers 1880. Elles viendraient compléter un réseau déjà dense de voies ferrées. Outre la voie Hazebrouck-Dunkerque, une autre ligne partait d'Hazebrouck vers la Belgique via Godewaersvelde, une autre déjà citée allait de Watten à Gravelines en passant par Bourbourg.
Très rapidement quatre lignes à voies étroites furent retenues ; Hazebrouck-Bergues passant par Hondeghem, Saint Sylvestre Cappel, Steenvoorde, Winnezeele, Herzeele, Bambecque, Rexpoede, Killem ; Herzeele-Saint Omer passant par Wormhout, Esquelbecq, Zegers Cappel, Bollezeele, Volckerinckhove, Broxeele, Lederzeele et Saint Momelin ; Bergues-Bollezeele passant par Steene, Pitgam ; Drincham-Bourbourg passant par Looberghe et Bourbourg campagne. Il est indéniable qu'un tel réseau désenclavait la plupart de nos villages leur donnant un accès rapide vers les bourgs voisins.
La ligne Herzeele-Saint Omer à laquelle nous nous intéresserons plus particulièrement traversait la Flandre française dans pratiquement toute sa largeur, elle prenait en enfilade le canton de Wormhout qui a la particularité d'être tout en longueur. L'ingénieur chargé de l'avant projet écrivait dans son mémoire «le chemin de fer projeté restera sensiblement toujours au milieu de la bande circulaire de terrain (que constitue le canton), ne s'en éloignant que pour passer plus près des centres d'agglomération et drainant ainsi, sur son passage, les éléments de trafic importants de cette région. Deux communes seules du canton de Wormhout ne seront pas traversées. La première Ledringhem est déjà desservie par la ligne de Dunkerque, la partie Nord par Esquelbecq, la partie sud par Arnèke. La seconde Merckeghem, jouira néanmoins de tous les avantages du chemin de fer puisqu'elle aura sa station à Bollezeele à moins de deux kilomètres de distance». Le même mémoire rapporte que la ligne «est réclamée depuis longtemps par les populations riches et agricoles de ce pays».
La ligne était scindée en trois tronçons Herzeele-Esquelbecq où se trouvait une gare de la ligne Hazebrouck-Dunkerque ; Esquelbecq-Bollezeele, rencontre avec la ligne venant de Bergues et Bollezeele-Saint Omer. Soit un peu plus de 32 km qui drainaient environ 20 000 habitants pour le calcul de rentabilité ; les promoteurs évaluaient 5 aller-retour par habitant et par an et 2 tonnes de marchandises transportées et cela sans tenir compte de l'existence d'une «raffinerie à sel» à Wormhout et de «trois poteries» à Lederzeele.
Si le souhait de voir se créer cette ligne de chemin de fer semble quasi général, sa réalisation est loin d'être aussi aisée.

Extraits de l’avant projet du chemin de fer d’intérêt local ligne d’Herzeele à Saint Omer, le tracé ne sera pas tout à fait celui retenu (sources : Archives du monde du travail à Roubaix cote 202AQ1148.1).

L'avant projet fut écrit en 1891 et il faudra attendre plus de 20 ans avant que la ligne soit achevée. Pourtant dès 1891, un ingénieur, Monsieur Lambert, demande aux communes concernées d'appuyer sa demande pour obtenir la concession de la future ligne. La construction de la ligne devait en effet être financée par le conseil général et les communes puis exploitée par une entreprise privée. Les communes se prononcent très rapidement en faveur de ce monsieur pas tant pour le satisfaire que pour voir la réalisation du projet : «attendu que la commune est disposée à s'assurer par tous les moyens en son pouvoir l'exécution de cette ligne avec gare sur le territoire de Volckerinckhove et qu'il importe qu'elle affirme nettement sa ferme intention à cet égard» (séance du conseil municipal de Volckerinckhove du 5 novembre 1891). Deux grands sujets préoccupaient les communes à propos de ce chemin de fer, le montant de leur participation financière et l'emplacement des gares. Le 20 décembre 1891 la municipalité de Saint Momelin répond favorablement à la demande de monsieur Lambert, elle vote par la même occasion une subvention de 50 f par an «à condition qu'il y ait une station à proximité de l'agglomération principale de la commune».
Il semble que le projet reste ensuite dans les cartons jusqu'aux environs de 1900.

En 1891 fut écrit un avant projet définissant de façon précise ce que serait «le petit train des Flandres » tel qu'on l'appellerait dans notre campagne. La ligne Herzeele Saint Momelin serait desservie quotidiennement par trois trains mixtes (voyageurs et marchandises) dans chaque sens tous les jours. La ligne compterait 7 gares : Herzeele, Wormhout, Zegers Cappel, Bollezeele, Merckeghem, Volckerinckhove- Broxeele, Lederzeele, Saint Momelin et deux «arrêts de pleine voies» pour les voyageurs à Esquelbecq «Pavé de Bergues» et à Bollezeele au «Pont de l'Erkelsbrugge». La ligne était en fait intitulée «D'Herzeele à Saint Omer», on projetait donc de la prolonger de quelques kilomètres dans le Pas de Calais pour rejoindre la gare de Saint Omer.
Des calculs très pointus évaluent le trafic escompté tant en voyageurs qu'en marchandises. Des considérations pertinentes évaluent les flux compte tenu des habitudes des habitants. Ceux du sud du secteur se rendant vers Saint-Omer et les autres vers Wormhout-Bergues, Bollezeele étant un village charnière. Le mémoire réussi ainsi à évaluer les recettes escomptées : «on compte sur une moyenne de 5 voyages aller-retour (annuels) par habitant réellement desservi». La recette annuelle est évaluée à 3284,00 F le km, négligeant «les recettes forcées par les relations administratives des communes avec Wormhout, leur chef-lieu de canton. De même à Wormhout il existe une raffinerie de sel qui ne peut manquer avec des moyens commodes de transports de prendre rapidement une grande extension. A Lederzeele, il existe trois poteries qui, pouvant écouler facilement leurs produits, se développeront très vites…».

Extrait de l’évaluation du trafic de l’avant projet dressé en 1891 (Archives du monde du travail, cote 202AQ1148.1).

Les dépenses annuelles de fonctionnement, les remboursements des frais d'installation provoqueraient d'après les calculs un déficit de 2885 F le km, le Conseil Général devant assumer le déficit.
Le dossier reste apparemment en suspens durant une petite quinzaine d'années et il faut attendre le 24 octobre 1905 pour que le Conseil Général prenne la décision de la construction par le département des lignes du «groupe nord» soit Herzeele-St Momelin, Bergues-Bollezeele et Bourbourg-Drincham. Deux ans plus tard, le 27 juillet 1907, le président de la République promulgue une loi déclarant d'intérêt public la construction des lignes, loi qui sera annulée si les achats de terrains ne sont pas effectués dans les cinq ans. Et en effet, il y a menace que les travaux ne débutent pas rapidement car le préfet décide en août de la même année de bloquer le dossier jusqu'à l'achèvement des lignes en construction au sud du département. Le journal le phare du Nord écrivait alors «M. le préfet du Nord vient de conseiller l'ajournement de la construction de ces lignes, c'est à dire qu'il estime que l'arrondissement de Dunkerque peut attendre et qu'il a trouvé une utilisation qui lui est plus agréable des fonds du département ! ». Les conseillers généraux de Flandre se mobilisent immédiatement sous la direction de M. Vancauwenberghe et dès le 30 août des séances animées du Conseil Général débattent du problème qui prend une tournure politique. Il est question de la ligne Lille direction Tourcoing dont la construction s'avéra très chère, on proposa de remplacer le projet par un réseau de tramways qui serait alimenté grâce à l'électricité fournie par «une immense usine électrique» à construire. Les conseillers généraux Flamands obtiennent finalement de leurs collègues et du préfet, la construction de la première partie de la ligne soit d'Herzeele à Esquelbecq et le Conseil Général votera bientôt un prêt de 600 000 F pour financer les travaux. En Mai 1908 M. Vancauwenberghe, appuyé par un rapport de «l'ingénieur en chef du contrôle», obtient la décision de construire la ligne jusqu'à Saint Momelin. Le projet de liaison jusqu'à Saint Omer est donc abandonné, le Conseil Général du Pas de Calais refusant de participer financièrement pour la partie de voie à créer sur le Pas de Calais. La ville de Saint Omer y était pourtant favorable et avait voté une subvention annuelle de 3000 F payable pendant 30 ans. La logique voulait que cette liaison se fasse, les Audomarois comme les habitants des villages flamands limitrophes en étaient bien conscients, de même que le sous-préfet de Dunkerque qui écrivait en 1906 au maire de Saint Momelin : «l'arrêt du projet à Saint Momelin ne pourra être que préjudiciable aux intérêts du département du Pas de Calais et surtout à la ville de Saint Omer qui avait tout avantage à être reliée avec la riche région agricole desservie…(le département du Pas de Calais) regrettera probablement dans l'avenir son intransigeance… il sera sans doute amené par la force des choses à demander lui-même le prolongement qu'il repoussa naguère». La commune de Saint Momelin était la première intéressée par le prolongement de la voie ferrée et elle fut extrêmement activée pour sa réalisation, elle proposa des alternatives qui parurent intéressantes aussi bien à la ville de Saint Omer, qu'aux autorités du Nord : liaison avec la voie étroite qui passait à Tilques (à 1100 m de Saint Momelin) ou liaison avec la ligne Saint Omer-Dunkerque qui ne passe qu'à quelques centaines de mètres de Saint Momelin. Aucun de ces projets ne vit le jour. L'emplacement des gares était bien-sûr une préoccupation majeure des communes, chacune souhaitant en avoir une, au plus près du centre. Lederzeele déplorait qu'il n'y ait pas d'arrêt aux environs de Nieurlet qui était encore inclus dans la commune de Lederzeele, elle obtient une halte. Broxeele eu moins de chance, la gare Broxeele-Volckerinckhove se trouverait à 1300 m du centre du village quand la ligne passait à seulement 500 m de l'agglomération.

Carte postale de la gare de Broxeele- Volckerinckhove.

La commune réclama donc à plusieurs reprises la création d'un arrêt facultatif au lieu-dit «le régulateur». mais la société de chemin de fer s'y refusa car «l'arrêt demandé serait à 700 m environ de la station de Volckerinckhove et à 1300 m de la station de Lederzeele. Il desservirait le village de Broxeele qui comprend une population exclusivement agricole d'environ 300 habitants et n'a aucun commerce ou industrie et dispose d'une bonne route pour se rendre aux gares de Lederzeele et de Volckerinckhove». Il est vrai que la commune n'avait voté qu'une subvention de 200 F et Lederzeele 700 et que Lederzeele acceptait de financer l'abri situé à la halte de Nieurlet ; Volckerinckhove qui dans un premier temps n'avait pas été plus généreux que Broxeele et avait réclamé 2 gares sur sa commune se vit nettement tancer par l'ingénieur responsable du projet. «ce n'est pas avec une aussi faible annuité que votre commune peut prétendre à la construction d'une gare et encore moins de deux, Tout ce que nous pouvons faire c'est de vous placer un arrêt pour le service des voyageurs à 800 m environ en allant vers Broxeele, à peu prés à égale distance des deux pays. La gares aux marchandises sera prévue sur Lederzeele qui a voté une forte subvention…». Dès réception de cette lettre, le conseil communal vote à l'unanimité une subvention annuelle de 400 F (il est vrai que Volckerinckhove est alors deux fois plus peuplée que Broxeele). Merckeghem qui était mal desservi dans le projet initial bénéficie d'une modification de tracé initial qui prévoyait la gare de Bollezeele à l'Est du village et qui glisse à l'ouest, au plus prés de Merckeghem. Le tracé et les gares enfin déterminés, le conseil général procéda aux achats des terrains, les expropriations semblent s'être déroulées sans heurts car celles-ci terminées, on ne comptabilisa aucune réclamation si ce n'est la demande d'un ou deux passages pour permettre à des agriculteurs de rejoindre leurs champs ou prairie coupés en deux par la voie ferrée.

Extrait d’une carte datant de 1914 de la société générale des chemins de fer économiques réseau de la Somme et lignes de la société dans le département de la Seine Inférieure et du Nord (Voie de 1 m). En pointillés les lignes en construction. (Archives départementales du Nord, cote Carte 288).

Enfin le 13 juin 1910 la portion de la ligne Herzeele-Esquelbecq était réceptionnée et l'ouverture de la ligne eut lieu le 20 juin. La seconde portion (Esquelbecq-Saint Momelin) fut elle en service en octobre 1912, la ligne avait une longueur de 33 km. Le 3 août 1914 la ligne Bergues-Bollezeele passant par Bierne, Steene, Pitgam, Drincham et Eringhem (19 km) était à son tour ouverte.
La gare de Bollezeele avait ainsi une certaine importance, elle sera la gare d'attache du matériel roulant entre Herzeele et Saint Momelin. On y établit un forage «de grande profondeur» et une citerne de 100 m3 qui fourniraient l'eau nécessaire en abondance pour les locomotives à vapeur. Les locomotives se fournissaient également en eau à Herzeele mais parfois aussi dans la Peene-Becque à Wormhout et bien-sûr dans le canal à Saint Momelin. La ligne possédait un parc de 6 locomotives et l'on avait construit en gare de Bollezeele «pour permettre le remisage, l'entretien et les grosses réparations du matériel roulant, des constructions assez vastes… Elles comprennent notamment une remise à machines, des remises à voitures combinées avec ateliers de wagonnage et de peinture, un ateliers de réparations et les voies nécessaires pour y accéder…». Il y avait également des grues hydrauliques, de «nombreuses machines-outils».

Vue de l'église de la gare de Bollezeele, on en devine l'importance.


La mise en fonction de la ligne tombait à une période difficile puisqu'on était à la veille de la première guerre mondiale, mais dès la fin de la guerre la ligne connut un trafic important et une vie intense. Le train favorisait effectivement les échanges et favorisait l'écoulement des produits. Dès 1914 la ville de Saint Omer l'avait compris, elle demandait un train supplémentaire de Bollezeele à Saint Momelin, les samedis jours de marché, elle allouait une subvention annuelle de 200 F pour ce faire. Un «service de voiturier» était en place qui prenait en charge les voyageurs à chaque train entrant en gare de Saint Momelin et qu'il conduisait jusqu'à Saint Omer. «Service très utile en attendant la création de la ligne Saint Momelin- Saint Omer» (qui ne verrait jamais le jour).
Les voyageurs étaient nombreux dans ce petit train qui aujourd'hui nous ferait sourire, imaginez donc ces petits wagons chauffés par un poêle installé au milieu de la plate forme, et où parfois les fermières brûlaient le bout de leur longue robe. L'éclairage était assuré par «des lampes et lanternes à huile et pétrole». Œufs, beurre, poulets devaient s'y entasser les jours de marché (à l'époque chaque fermière faisait un ou deux marchés hebdomadaires). Le décret de 1901 qui disait, «l'entrée des voitures est interdite… à tous individus porteurs… d'objets qui par leur nature, leur volume ou leur odeur pourraient gêner ou incommoder les voyageurs» devait être respecté de manière fort lâche. Les anecdotes ne manquent pas non plus de côtes difficiles à monter au point que les voyageurs dussent descendre quelques mètres pour que le train arrive au sommet et même parfois pousser, quand quelques chenapans avaient enduit les rails de savon noir !
Le train qui traversait les champs et longeait souvent les rues était cause aussi de nombreux incidents et parfois accidents, notamment à cause de ses coups de sifflet ou de son arrivée soudaine, aucune barrière ou clôture n'isolait les voies. Les chevaux surtout qui se cabraient ou qui partaient au galop avec leur charge, chariot ou autre. Ainsi ce malheureux ouvrier qui avait emprunté cheval et charrue à son employeur pour labourer son petit lopin de terre. Le cheval parti ventre à terre s'arrêta 2 km plus loin dans sa cour de ferme avec un timon, la charrue étant déglinguée sur la route : coût des réparations, 3 récoltes, le pauvre homme laissa paraît-il ensuite son champ en friche.
Le petit train des Flandres servait également au transport des marchandises et le transport des betteraves vers la sucrerie de Saint Martin au Laert ou la distillerie de Steene, avait une importance considérable. Ainsi en 1930 on décidait l'allongement des quais de la gare de Volckerinckhove-Broxeele pour permettre d'évacuer correctement les betteraves que l'on amenait. Les chariots, pesés sur la bascule voisine de la gare, étaient déchargés dans des wagons à raison de 15 à 20 par jour ; plus de 600 wagons étaient ainsi chargés en 2 mois et demi, on peut imaginer l'effervescence qui régnait alors dans ces petites gares avec la noria de ces chariots à grandes roues qui tournait sous la pluie automnale.
Les gares devenaient le centre vital de la campagne. A Bollezeele, on agrandissait aussi les quais en 1928 donnant un second accès sur les quais, à partir de la route, augmentant également la cour de 450 m². En 1924 on avait crée dans la même gare un embranchement pour y relier les magasins de M. Gaston Blanckaert négociant voisin.
Malgré ce succès l'équilibre financier n'est jamais atteint et les concessionnaires sont attentifs à l'avenir de la ligne, à préserver son trafic et à le rentabiliser. Ainsi en octobre 1922 la direction parisienne demande dans une note «T.S.» (très secrète) aux responsables locaux de se «renseigner discrètement» sur la raison pour laquelle le conseil Général a décidé d'agrandir les quais du pont de Saint Momelin. Il s'avère qu'il s'agit de faciliter le transport des tuiles, des tuileries de Saint Momelin, Nieurlet par péniche au dépend de la voie ferrée qui obligeait à un transbordement des tuiles à Esquelbecq vers les lignes à larges voies. Coté économies, en janvier 1926 la société de chemins de fer économiques réclame dans un rapport long et confus, 6 000 tonnes de ballast au Conseil Général pour «compléter le profil des voies», ballasts qui auraient manqué dès l'origine mais «les circonstances de guerre», (12 ans auparavant !) «on détournait l'attention de notre société». En avril 1926 une autre note détaillée a pour but de demander au Conseil Général l'autorisation de restructurer les équipes d'entretien de la voie. On apprend ainsi que 21 personnes réparties en 6 équipes effectuaient l'entretien courant de la cinquantaine de km que représentaient les 2 lignes Bergues-Bollezeele et Herzeele-Saint Momelin. Ces hommes étaient, entre autre, tenus d'effectuer une visite quotidienne de tout le parcours. La note qui constatait que «le rendement» des «petite équipes isolées» laissait «toujours quelque peu à désirer» prévoyait (déjà) une réduction d'effectif et une économie annuelle de 20 000 F.(le salaire annuel d'un cantonnier était de 6 000 F). L'ingénieur proposait alors l'achat d'une draisine à moteur qui transporterait les hommes et les matériels d'une équipe à «long parcours» équipe composée : d'un chef, d'un sous-chef, d'un ouvrier spécialisé, de 7 cantonniers et ouvriers qui entretiendraient 33 km de ligne, 2 autres équipes de 3 hommes entretiendraient chacune 8 km de ligne. L'équipe à la draisine n'effectuerait plus qu'une visite systématique tous les trois jours, en dehors «des visites spéciales qu'il y a lieu de maintenir dans les périodes de troubles atmosphériques», étant précisé que dans tous les cas la draisine doit circuler «à la vitesse d'un homme au pas».

Comme toutes les gares celle de Saint Momelin reste un témoin du passage du petit train (photo Yser Houck avril 2003).

Affiche des horaires des 2 lignes Herzeele-Bollezeele-Saint Momelin et Bergues-Bollezeele pour l'année 1930 (Archives départementales du Nord : cote S31841).

Malgré ces efforts de rentabilité, le fonctionnement de cette ligne paraît encore bien lourd quand on sait qu'elle devait également supporter les salaires et les logements des chefs de gare, ainsi que partiellement les salaires des ingénieurs, sous-ingénieurs et du personnel du siége parisien. Mais c'est surtout la concurrence de nouveaux moyens de transport qui allaient très vite sonner le glas de notre petit train.
Dés 1929 le Conseil Général du Nord était saisi d'une demande de mise en place d'un service d'autobus de Saint Omer à Esquelbecq prolongeable jusqu'à Herzeele. Projet auquel le Conseil Général ne donna pas suite. En 1932 un nouveau projet est adopté prévoyant un service biquotidien, aller-retour d'Houtkerque à Saint Omer «tous chemins macadamisés et en bon état». Il s'agit d'un service public assuré par un autobus en location de 20 places, un autre de 30 places ainsi qu'un troisième bus en réserve. C'en était quasiment fini du train de voyageurs. Un seul aller-retour quotidien subsistait.
L'horizon n'était guère plus brillant pour le transport des marchandises qui péricliterait très rapidement. En 1931, déjà, les communes, syndicats agricoles, groupements commerciaux et groupements industriels du secteur réclamaient «l'élargissement à voie normale» des lignes Herzeele-Saint Momelin-Bergues ;Hazebrouck-Hondschoote-Bergues ; Hazebrouck-Hondschoote-Gyvelde «pour le plus grand bien de nos Flandres».

Départ de la dernière locomotive à Bollezeele en 1954

Tous avaient très bien compris la fin proche des lignes à voie étroite. La concurrence du transport par route était déjà réelle. Les transports des betteraves en saison, l'arrivée de la seconde guerre mondiale retardèrent la fermeture définitive de la voie qui n'eut lieu qu'en 1953 mais le petit train des Flandres n'était déjà plus qu'une relique, économiquement dépassée. Cet ouvrage qui a marqué nos Flandres tant sur le terrain que dans les esprits, découlait d'une réflexion pertinente mais vit le jour 25 à 30 ans trop tard, ce qui correspond au temps écoulé entre les premières études et la mise en service.

Ainsi notre petit train n'a été en pleine activité que de 1918 aux années 30 soit moins de 20 ans, mais on l'a sans doute démantelé trop vite car il aurait peut-être pu devenir aujourd'hui un petit train de plaisance, attrait touristique, appoint économique.

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