La culture du houblon en Flandre
(extrait de la revue n°53)
La culture du houblon est traditionnelle en
Flandre et les houblonnières avec leurs hautes perches sont
symboliques de nos paysages.Un de nos adhérents Michel
Verschave de Merckeghem descendant d'une longue lignée
de houblonniers nous a aidé à découvrir cette culture bien
particulière. Celle ci ne reste plus aujourd'hui qu'anecdotique
(30 ha cultivés par 9 agriculteurs) mais fut jadis bien plus
importante, elle occupa des milliers de personnes
et leur apporta des revenus non négligeables.
Il y a cent ans, les houblonnières s'étendaient sur un millier
d'hectares, sa culture était cependant concentrée aux environs
de Boeschepe, Saint Jans Cappel, Bailleul. Le houblon demandant
alors un travail considérable, les exploitations agricoles ne
pouvaient entretenir que quelques mesures de houblonnières (3 à
4 ha au maximum). Certains villageois cultivant des petits lopins
de terre avaient des houblonnières de seulement une mesure (35
ares 30) mais les champs avaient généralement un hectare ou un
peu plus. Les pieds de houblon sont habituellement plantés à
1,40 mètres les uns des autres sur la rangée avec un espace de
2,80 m entre les rangées, un peu moins avant l'arrivée des
tracteurs, mais devaient permettre le passage d'un attelage de
deux chevaux.
Lespace entre les rangées devait permettre aux chevaux
de passer (photo M. Verschave).
En 1900 les houblonnières avaient un aspect différent
d'aujourd'hui, le fil de fer n'était pas employé, une perche de
5 à 6 m de hauteur était plantée verticalement prés de chaque
pied, les pousses s'y enroulant.
Ancienne houblonnière avec les perches verticales sans fils
de fer (photo M. Verschave).
Etude de coût d'exploitation d'un hectare de houblon affectuée par la Coophounord en 1984 (culture mécanisée et pour une exploitation moyenne avec 4,50 ha de houblon).
Au moment de la récolte, on déterrait la
perche pour cueillir le houblon. Les houblonniers cultivaient
deux variétés de houblon l'une aromatique, l'autre amère, ces
deux types de houblon étaient conservés durant des décennies. C'était
l'époque où l'on consommait énormément de bière
puisque c'était quasiment l'unique boisson pour tous, du petit
enfant au vieillard. Bière très peu alcoolisée et avec peu de
recherche de goût, on n'était donc pas trop exigeant non plus
sur la qualité du houblon. Les houblonnières avaient souvent
quelques pieds mâles qui fécondaient les cônes femelles les
rendant ainsi plus volumineux mais moins riches en lupuline et
donc en arômes. Le besoin grandissant de qualité poussa les
cultivateurs à supprimer petit à petit les pieds mâles qui
furent bientôt interdits sous peine d'amende, les cônes
femelles non fécondés perdirent alors en poids ce qu'ils
gagnèrent en qualité. La culture du houblon nécessite
beaucoup de travail. Si l'on évalue qu'aujourd'hui pour
un hectare il faut 400 heures de main d'uvre, ce chiffre
était bien plus considérable avant la mécanisation. Il y avait
alors parfois cent à cent cinquante cueilleurs sur une
exploitation. Ceux ci travaillaient pendant six semaines à
récolter les cônes des 3 à 4 hectares de houblon. Les villages
étaient complètement désertés, toute la population s'activant
dans les houblonnières, à partir du 15 septembre. La population
locale ne suffisait cependant pas, aussi des saisonniers belges
venaient de la région de Roulers (sans doute plus
particulièrement déshéritée, la Flandre belge était alors
moins prospère que la France).
Les cueilleurs payés au rendement (au poids) s'activaient pour
ramener le plus grand salaire possible, le cultivateur
surveillait pourtant que le travail soit bien fait. C'est lui
aussi qui pesait, en fin de journée, la récolte de chacun
entreposée dans de grands sacs de jute.
Le père de Michel Verschave à la pesée (photo M.
Verschave).
Aussitôt pesés les cônes étaient mis à sécher au grenier
sur des grandes claies en dessous desquelles brûlait un feu de
coke. Il fallait obtenir la chaleur adéquate, cela se jugeait en
avançant la main, nous dit monsieur Verschave, le séchage
durait 12 heures. On laissait ensuite refroidir doucement les
précieux cônes avant de les entasser dans des grands sacs de 50
kilos. Le sac était suspendu au-dessus du vide et l'on tassait
le houblon au pied pour obtenir le poids voulu. Le temps que le
houblon refroidisse, on allumait un autre foyer, car le houblon
devait être séché très rapidement, après avoir été
cueilli, l'opération se poursuivait jour et nuit. La fin de la
récolte était un moment important pour chacun car c'était
celui de la paye, la soirée se terminait par un grand repas pris
en commun et la promesse de revenir l'année prochaine car les
cueilleurs étaient généralement fidèles à leur cultivateur.
Pour celui ci, bien sûr, la houblonnière nécessitera ses soins
tout au long de l'année. Bien que rustique, le houblon a
besoin de l'aide des hommes pour donner le meilleur de lui-même.
Mi-avril les pousses printanières surgissent en grand nombre,
l'homme doit en supprimer une cinquantaine sur chaque pied pour
n'en conserver que quatre belles qu'il enroulera autour du poteau
puis plus tard du fil. Le houblon s'enroule dans le sens des
aiguilles d'une montre ou du soleil, à l'inverse du haricot ou
du liseron. A raison de 4000 plants à l'hectare
on peut imaginer la somme de travail que cela nécessite.
Le houblon nécessitait beaucoup de traitements (photo M.
Verschave).
On buttera ensuite les pieds des plants afin d'étouffer les
repousses qui seraient tentées de sortir de terre, buttes qui
sont aplanies à la fin de l'hiver suivant. Il faudra aussi
maintenir propre les lignes de houblon durant toute la période
de végétation. Surtout la plante est sensible à diverses
maladies ; l'oïdium et le mildiou mais aussi aux invasions
d'araignées et des pucerons contre lesquels le houblonnier doit
lutter sans cesse. Tout cela vaincu et si la «cônaison»
(début août) s'est bien déroulée, le cultivateur peut
espérer une belle récolte. Restera à bien la vendre dans un
marché très spéculatif. Les prix étant variables en fonction
de la demande.
Une culture particulière donc que celle du houblon qui se
transmettait par familles, nécessitant un équipement ainsi
qu'un savoir-faire.
Malheureusement à partir du
milieu du XXème siècle, les cours du houblon
devinrent de plus en plus aléatoires. La baisse des prix fut
partiellement compensée par la mécanisation notamment de la
cueillette.
La mécanisation a contribué à la fin de la culture du
houblon (photos M. Verschave).
Cette mécanisation coûteuse ne put être entreprise que par les
plus grosses exploitations et beaucoup de petits producteurs
disparurent. Ceux qui restaient furent amenés à agrandir leurs
houblonnières pour amortir le coût du matériel. Ce fut aussi
l'époque où les houblonniers se dispersèrent en Flandre en
même temps que les fils reprirent des exploitations rentables.
La famille Verschave est un bon exemple de cette évolution des
années 1960. Le père, Steenvoordois, doubla ses surfaces
passant de 4 à 8 hectares, ses fils s'établirent à Eecke,
Caestre, Mercheghem et Steenvoorde totalisant 50, ha de houblon.
A partir de cette époque les houblonniers ont fait preuve d'un
dynamisme hors du commun pour sauver leur culture préférée.
Ils créèrent une coopérative (la coophounord) qui vint en
complément des négociants privés. Ils érigèrent une
houblonnière expérimentale (1986) qui testait de nouvelles
variétés et étaient en contact avec les autres grandes
régions de production, en Belgique toute proche mais aussi en
Alsace, en Angleterre, en Allemagne. Le «groupe des planteurs»
formé en «syndicat des planteurs de houblon des Flandres» et
aidé par les techniciens de la chambre d'agriculture notamment
Antoine Ryckewaert, éditait des cahiers techniques qui donnaient
des conseils de culture tout au long de l'année. Ils donnaient
en particulier un état des maladies qui se développaient ou
menaçaient le houblon, indiquaient les traitements à effectuer.
Ils établissaient aussi des comparaisons des performances des
différentes variétés, leurs cotations sur le marché. Forts de
tous ces précieux renseignements les houblonniers optimisèrent
leurs productions, plantaient les variétés les plus
recherchées. Ils allaient jusqu'à changer les plants tous les
trois ou quatre ans, malgré les très faibles rendements de la
première année de culture. Les machines furent- elles aussi
sans cesse modifiées et améliorées.
Malgré tous ces efforts le houblon de
Flandre française perdait sans cesse du terrain. Les
cotations devenaient de plus en plus désordonnées, les
producteurs cherchaient alors à établir des contrats en début
de saison afin d'avoir un prix assuré. Monsieur Verschave nous
cite en exemple l'année 1980, où l'on signait des contrats à
1000 francs pour 50 livres (le houblon se mesure en livres), les
prix montèrent à 4200 francs pour retomber en fin de saison à
60 francs !
Finalement le houblon ne devint plus rentable,
il ne fut plus possible de rivaliser avec la concurrence
étrangère malgré une timide aide communautaire. La Pologne n'a
t elle pas des salaires cinq fois inférieurs à le France et la
Chine quarante fois, ces deux pays étant des grands producteurs
de houblon. De ce houblon que l'on met en quantité toujours
moindre dans la bière. En visite dans une brasserie industrielle
du secteur, monsieur Verschave effaré s'est entendu dire par un
technicien qu'il pourrait même se passer totalement de houblon
s'il devenait trop cher. A vrai dire la boisson qui sort de cette
brasserie n'a guère de bière que le nom !
La Flandre a de plus la malchance de n'avoir ni le climat, ni le
terrain propice à la culture de la variété de houblon la plus
recherchée aujourd'hui. Cette variété aromatique a des
rendements quatre fois supérieurs en Alsace, seule autre région
houblonnière de France. Si l'on demande comment il se fait que
juste derrière la «schreve» le houblon est encore
bien présent, monsieur Verschave nous répond que la culture y
est totalement familiale, sans sortie de salaires. Contrairement
à chez nous la Flandre belge n'a pas choisi l'option grande
culture du bassin parisien ou des Etats Unis.
Champ de houblon de Michel Verschave à Merckeghem en 1986,
aujourdhui il nen existe plus (photo M. Verschave).
Aujourd'hui le houblon ne peut plus être considéré comme une
véritable culture. Les quelques houblonnières restantes ne sont
là que par la volonté de quelques passionnés voulant conserver
un témoin d'un savoir-faire qui a rythmé la vie de nombreux
flamands, qui les a aidé à gagner leur pain. Notre grand pays
pourtant si dispendieux n'a pas libéré quelques centaines
d'euros pour soutenir cette culture, il est vrai que notre
région est bien loin, bien petite et bien tranquille. En 2004,
enfin, une structure locale «le pays des monts de Flandre»
s'est soucié de sauver nos dernières houblonnières (deux
d'entre elles ont été abattues lors des tempêtes du printemps)
et a su après bien des péripéties récolter les quelques euros
pour aider les houblonnières. Mais cela sera-t-il
suffisant pour sauver un fleuron de notre paysage et une part de
notre patrimoine ?