Histoire locale
Le Noordland
(extrait de la revue n°51)
La Flandre Maritime, le Blootland, le Noordland autant de mots pour désigner une même région que l'on pourrait aussi appeler le Nieuwland, nom de certains secteurs de cette contrée, tel ce coin de terre qui fut convoité pour y installer une décharge de déchets ultimes.
Il s'agit bien en effet d'une terre neuve,
récemment gagnée sur la mer et peuplée par l'homme. Ceci bien
sûr à l'échelle de l'histoire de notre vieux continent. La
campagne de la Flandre Maritime conserve d'ailleurs un peu la
physionomie d'un pays neuf. De grandes et solides fermes
(comparées au reste de la Flandre) situées au milieu de leurs
terres, au bout d'une allée bien droite, des villages bien
ordonnés. Tout y est d'ailleurs plus rectiligne que dans le
reste de la Flandre où la règle est plutôt la courbe et le
détour. Le paysage si plat, les watergangs qui filent vers la
mer, l'absence ou presque d'arbres trahissent la récente
conquête sur la mer. Les Moëres (nom qui
signifie d'ailleurs marais) en sont l'exemple le plus parfait,
bien qu'exceptionnelles puisque conquises sur la mer, bien plus
tard que le reste du secteur ; rappelons en l'histoire.
La Flandre Maritime, un paysage différent de la Flandre Intérieure (photo Yser Houck 2004).
On avait là jusqu'au milieu du XVIIème siècle, deux
vastes cuvettes, la grande et la petite Moëre (4 à 5000 ha
selon les saisons) couvertes d'eau salée bien que situées à
plusieurs kilomètres de la mer ; il a fallu toute
l'ingéniosité de l'architecte Wenceslas Coobergher pour que ces
terres soient enfin asséchées en 1624, grâce à des travaux
considérables. On creusa un canal de ceinture (ringslot)
doublé d'une digue. Vingt moulins pompaient l'eau qui était
envoyée dans le ringslot puis évacuée par un
watergang vers la mer. Ca n'en était cependant pas encore fini
de ces grands étangs insalubres, dès 1646 ils étaient remis en
eau pour protéger Dunkerque de l'ennemi français. Seul le
clocher de l'église restait hors d'eau, on dit qu'il servit de
retraite aux brigands. Il fallut attendre encore un siècle pour
que les marais fussent à nouveau complètement asséchés. En
1746, le comte d'Hérouville, gouverneur de Bergues repris
l'uvre de Coobergher, il fit construire quatre grands
moulins (nommés le Rhin, le Danube, le Pô et le Tage) qui
asséchèrent la zone, mais son uvre le ruina. En 1793 les
Moëres furent à nouveau inondées pour protéger une nouvelle
fois Dunkerque. Puis l'assèchement reprit et fut achevé en
1797. Achevé pour autant, car malgré des travaux qui se
succédèrent à intervalles réguliers (1803, 1826, 1865) la
région restait inondable et l'on pouvait encore aller certaines
saisons en barque des environs de Bergues jusqu'à Furnes. Bien
qu'ensuite définitivement assainies, les Moëres demeurent
aisément inondables et l'on ne manque pas d'utiliser cet outil
stratégique à chaque guerre. On les inonda en 1914, en 1940, en
1944 et chaque fois toute la végétation fut détruite par l'eau
de mer de même que la plupart des constructions, il faut alors
de longs mois pour dessaler les terres et les rendre à nouveau
cultivables.
Comme les Moëres une bonne partie de la Flandre Maritime est
inondable en cas de rupture des digues ou des écluses lors des
grandes marées. Aux pieds de Merckeghem, à 20 km de la côte on
se trouve parfois au niveau de la mer. Toute cette région
fragile a été conquise sur la mer par l'homme à force
d'ingéniosité et de travail.
Localisation des Moëres sur la carte de Cassini de 1758.
Aux Moëres comme dans d'autres secteurs de la Flandre Maritime, l'altitude est parfois inférieure au niveau de la mer (Photo Yser Houck 2004).
Si le conquérant romain a connu une côte
pratiquement au même emplacement qu'aujourd'hui, au IVème
siècle toute la Flandre Maritime fut envahie par la mer. Une
remontée de son niveau (transgression dunkerquienne) provoque
une avancée importante de la mer, qui se stabilise cependant
bientôt. Les Flamands se mirent alors avec ténacité à la
conquête de la région qu'ils asséchèrent et colonisèrent
progressivement. Terres neuves, vastes espaces à fertiliser, à
partir de la ligne de côte aux pieds des collines qui limitent
la Flandre Intérieure et à partir de quelques buttes qui
émergeaient. En 648 Loon et Synthe sont mentionnées, il s'agit
sans doute de quelques cabanes installées sur un monticule, il
en est de même d'Holque en 877, terre isolée au milieu du golfe
de l'Aa.
Les terres n'émergent que très progressivement des eaux, si au
Xème siècle la partie Nord de la Flandre Maritime
est presque hors d'eau et donc «plus ou moins cultivable»,
de Bourbourg à Watten on n'a encore qu'un vaste marécage.
Au Xème siècle, les comtes de Flandre, apparaissent
et contribuent largement à la conquête de ces terres amphibies,
les premiers d'entre eux ont parfois le titre de markgrave
(marquis) littéralement protecteur des «marches», des
frontières du monde franc. Ils feront construire une ligne de
cités fortifiées parallèle au rivage, ce fut le cas pour
Furnes, Bergues et Bourbourg. Ces cités deviendront des points
de départ pour la conquête de la zone amphibie, sachant que
Bergues était encore à cette époque quasiment entouré par la
mer et Bourbourg était un îlot parmi les marais.
Les comtes de Flandres seront les seigneurs directs de cette
région à mettre en valeur, les premières digues furent alors
érigées, retenant les flots.
Les villages éclorent au milieu des terres peu à peu
asséchées, Bierne, Steene au début du XIème
siècle. Il faut cependant attendre le XIIème siècle
pour voir apparaître une dernière génération de villages tels
que Saint Pierre Brouck ou Cappelle Brouck.
Une chapelle et quelques masures constituaient certainement ces
villages entourés de terres encore spongieuses où peu à peu
l'eau douce remplaçait l'eau de mer bloquée par les digues de
plus en plus efficaces. Les premiers watergangs drainaient les
excès d'eau mais ils débordaient encore bien vite en cas de
fortes pluies.
Les relevés des biens et revenus des abbayes qui nous sont
parvenus, montrent bien l'état des ces terres au XIIème
siècle. L'abbaye de Bourbourg possède le marais de Millam, la
partie asséchée du marais entre Watten et Bourbourg. «La
dîme des terres neuves situées entre Drincham, Pantgat et le
marais septentrional», «la dîme des terres neuves longeant
l'Yser», «la dîme des terres récemment asséchées
entre Holque et Bourbourg», «la dîme des terres
récemment asséchées à Dixmude», «la nouvelle terre
nommée Sandeshoved à l'ouest de l'Yser et ce qui pourrait s'y
adjoindre», une bergerie à Bonhem (Gravelines), une
bergerie à Loon, une bergerie près de Sly (?). La présence de
ces bergeries est significative de ces terres encore fort humides
où de maigres pâturages ne conviennent qu'à de vastes
troupeaux de mouton. Troupeaux soit dit en passant qui ont
peut-être été à l'origine de la vocation textile qui fit la
richesse de la Flandre.
Les exemples de ces terres encore mal ou peu asséchées
dévolues aux religieux sont nombreux. En 1169 le comte Philippe
d'Alsace dote la collégiale d'Aire de 170 mesures de marais à
prendre entre Bourbourg et Watten (Cappellebrouck). Anselme de
Bouchain dote l'abbaye de Rihemont d'une bergerie à Loon
s'étendant sur 250 mesures.
Ces milliers d'hectares de terres gagnées sur l'eau
sous-entendent un travail considérable effectué par les hommes
de Flandre pour assécher un à un tous ces marais. On peut
imaginer ces kilomètres de fossés larges et profonds, de digues
aménagées à la pelle et à la bêche.
Les énormes donations faites par les comtes de Flandre aux
abbayes prouvent leur clairvoyance et leur bon sens. En leur
donnant ces terres à valoriser et des revenus, «les
dîmes», qui seront d'autant plus importantes que les
terres seront productives, ils assuraient l'avenir prospère de
toute une région.
Les abbayes avaient les moyens, on dirait aujourd'hui le capital,
pour faire effectuer des travaux importants d'assèchement que
les paysans isolés n'auraient pu réaliser.
L'autre catégorie d'hommes ayant des capitaux était les
seigneurs. La Flandre maritime était sous la tutelle directe des
comtes de Flandre, les dons qu'ils firent aux abbayes ne
représentent qu'une petite partie de l'ensemble, le reste des
territoires sera donné aux XIème et XIIème
siècles, à des seigneurs que les comtes souhaitaient favoriser
et en premier leurs familles, fils cadet ou demi-frère. Toutes
ces terres deviendront des seigneuries souvent importantes.
Willem Brohon demi-frère de Philippe d'Alsace reçoit 2750
mesures. Ainsi naîtront par exemple les seigneuries de
Cappelbrouck (1700 mesures), d'Holque (1352), de Zinneghem (1266
mesures), du Nieuwlant (931 mesures)
Ces vastes seigneuries
dotées d'arrière fiefs représentèrent longtemps la plus
grande part des terres de la Flandre Maritime. Là aussi le fait
d'être de vastes domaines a du faciliter la mise en culture
même si les seigneurs, parfois lointains, n'eurent pas toujours
le même souci de valoriser leurs terres que les abbayes. Ces
seigneuries marquèrent et marquent encore le paysage de la
Flandre Maritime notamment par la présence de grandes et belles
fermes appartenant autrefois aux seigneurs ou parfois même
ancien siège d'une seigneurie.
Autre conséquence de cette mise en culture tardive, la Flandre Maritime fut longtemps moins peuplée que la Flandre Intérieure. Population moins nombreuse, gros domaines, les habitants du Noordland paraissaient plus aisés que ceux du Pays au Bois et par-là plus fiers, voire méprisants et on les qualifiait bien souvent de Rutchit (fiers).
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